Présidente de l’association Mille Variétés Anciennes, Isabelle Champion-Poirette s’est prêtée au jeu de l’interview pour SOL. Durant cet entretien, elle partage avec nous sa passion pour les semences de variétés anciennes, vivantes et reproductibles et nous interpelle sur l’importance de redécouvrir ces semences saines, à fortes valeurs nutritionnelles et goûteuses. Grâce au projet Biofermes, Isabelle et l’équipe du Conservatoire de Sainte Marthe forment les futur.e.s paysan.ne.s à la préservation et à l’utilisation de ces semences, gage de notre biodiversité.
SOL : Présidente de l’association Mille Variétés Anciennes, en charge du conservatoire de semences pédagogique de Sainte Marthe, pouvez-vous nous en dire plus sur vous, votre parcours et votre association ?
Isabelle Champion-Poirette : J’ai fait des études d’ingénieur chimiste et durant ces études je me suis rendue compte que mon domaine de prédilection était la Nature. Dans les années 1990, j’ai co-créé un laboratoire homéopathique. J’ai découvert par hasard les semences en visitant le conservatoire de semences de Sainte Marthe (créé en 1974). Je me souviens que le chef de culture m’a dit « Les graines vivent dans le sol et meurent dans le conservatoire » : cette phrase a provoqué un déclic en moi et je nourris depuis lors une véritable passion pour les semences traditionnelles.
Quelques années plus tard, l’organisation Mille Variétés Anciennes est née. Son objectif est de découvrir et faire redécouvrir les fruits et légumes oubliés que nous ne retrouvons plus sur les étals de nos marchés ou dans nos supermarchés. À la ferme de Sainte Marthe, nous avons créé un espace pédagogique ouvert à tous ,pour sensibiliser à la conservation de ces semences anciennes. Il a été inauguré le 24 juin 2017. Notre banque de semences contient aujourd’hui environ 1 000 variétés en collection.
SOL : D’après la FAO, 75 % des variétés comestibles cultivées au début du 20e siècle ont disparu. Comment peut-on expliquer cette disparition ?
Isabelle : Ces variétés ont disparu car elles ne sont plus commercialisées. Cette situation s’explique notamment par les lois qui favorisent les graines hybrides F1. Ces graines hybrides sont issues du croisement de deux lignées mâle et femelle, devenues homozygotes (toutes semblables) à la suite d’une manipulation qui interdit à chaque lignée tout croisement avec l’extérieur, pendant six ans, provoquant ainsi une dépression consanguine. Il en naît à la 7e année des » plantes miracles » qui produiront une armée d’individus identiques (clones), répondant aux impératifs des industries agro-alimentaires. Ce système rend les fruits et les légumes tous identiques et sans saveur. Par cette standardisation, les productions sont plus faciles à gérer pour l’agro-industrie mais cela se fait au détriment de la qualité nutritionnelle.
De plus, beaucoup de semences de variétés anciennes sont aujourd’hui interdites à la commercialisation car seules les graines répertoriées dans un catalogue officiel peuvent être vendues, ce qui explique la disparition des variétés traditionnelles des étals des marchés et des tables familiales.
SOL : Une partie du travail du conservatoire de semences est de former les paysans et les jardiniers à la conservation des semences. Pourquoi est-il aujourd’hui essentiel de diffuser ces savoir-faire?
Isabelle : C’est essentiel de diffuser ces savoirs traditionnels car ainsi tout-un-chacun aura la possibilité de ressemer ces graines oubliées et de
réintroduire ainsi des variétés anciennes de fruits et légumes dans toutes les régions. Il est important de noter que ces variétés sont « rustiques » c’est-à-dire qu’elles poussent partout sans engrais, ni pesticide. En cultivant ces plantes, nous retrouvons une alimentation saine, variée et qui a du goût.
Il ne faut pas oublier qu’à la différence des semences hybrides F1, ces graines sont « fertiles », c’est-à-dire qu’elles peuvent être ressemées d’année en année par le paysan ou le jardinier. Ainsi ces semences offrent l’autonomie à la personne qui les cultive et leur résilience lui permet de pouvoir faire face à de grandes crises économiques ou écologiques.
SOL : Pourriez-vous nous en dire plus sur le conservatoire pédagogique de semences anciennes, vivantes et reproductibles de Sainte Marthe ?
Isabelle : L’objectif du conservatoire de semences de Sainte Marthe est de faire redécouvrir à tous la multitude de semences traditionnelles à disposition dans notre pays et de montrer qu’il est utile et même beau de les conserver. Le grand public a totalement perdu les connaissances sur ce patrimoine, véritable trésor de l’humanité.
Cet espace offre donc à voir une magnifique collection de semences présentée dans des bocaux en verre. On peut venir les regarder, découvrir leurs propriétés et même les toucher car elles sont toutes de nature différente (certaines ressemblent à du bois, d’autres à du métal, d’autres encore à de la ouate, … c’est très surprenant). De plus, le conservatoire dispose de photos de fruits et légumes de variétés anciennes tous plus étonnants les uns que les autres (comme des tomates de différentes formes et de différentes couleurs). On s’aperçoit tout de suite que ce ne sont pas des fruits et légumes que l’on peut trouver au supermarché.
Le conservatoire comprend aussi une bibliothèque avec de nombreux ouvrages sur les semences et les légumes de variétés anciennes, le jardinage écologique ou encore sur l’agriculture urbaine.
Grâce cet espace, nous pouvons expliquer que les graines sont comme de petits logiciels vivants qui contiennent toute l’histoire d’une variété et qu’il suffit de mettre une graine dans un peu de terre et de l’arroser pour qu’une plante naisse en quelques semaines. C’est sur ce miracle que repose l’alimentation de toute l’humanité.
SOL : Le conservatoire s’inscrit dans le cadre plus général du projet « Biofermes Internationales», pouvez-vous nous expliquer le lien étroit qu’il y a entre agroécologie- semences et autonomie ?
Isabelle : Tout d’abord, les graines de variétés anciennes et rustiques ont la capacité de s’adapter aux différents territoires et climats. Semer les bonnes variétés dans les bonnes régions permet de relocaliser les productions potagères et de rendre les régions autonomes en fruits et légumes. Ensuite, comme ces plantes poussent sans pesticide, leur culture permet de dépolluer petit à petit les sols. Ces derniers redeviennent vivants.
Une telle agriculture inverse les priorités de production que nous connaissons en favorisant la qualité plutôt que la quantité, ainsi qu’une agriculture viable économiquement (car elle est économe en gros outils mécaniques, en énergies fossiles, et en produits chimiques).
SOL : Souhaitez-vous ajouter un mot ?
Isabelle : Je souhaite attirer l’attention des consommateurs sur le fait que l’alimentation de produits provenant d’un potager de variétés anciennes offre à tous la possibilité d’accéder à une alimentation de grande qualité à un prix modique. C’est ainsi un luxe à la portée de ceux qui ont un coin de jardin ou de balcon disponible.
Revenir à une alimentation locale aurait un impact direct et très rapide sur les problèmes liés à la pollution en rendant inutile les transports sur des centaines de kilomètres de fruits et légumes qui arrivent non-mûrs dans nos assiettes. C’est le moment de s’interroger pour savoir si nous voulons continuer ainsi et ce que nous voulons pour demain. »
Nous participons au projet Biofermes et le soutenons car il donne à des agriculteurs et maraîchers les moyens concrets (en terme de formation et d’acquisition d’expérience) pour » imposer » un nouveau modèle d’agriculture jouant pleinement son rôle économique, sociétal et environnemental.
Le projet Bioferme est générateur de vie.
Crédits photo : Seed Tour & Vibe’s Project