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Berta Gielge « L’agroécologie, c’est envisager la terre comme une entité à respecter »

Berta, chargée de projet Biofermes Sénégal de notre partenaire local l’ONG des villageois de Ndem, était ces derniers jours en Europe pour rencontrer les acteurs de Biofermes en France. Ce fut l’occasion pour chacun de parler agroécologie, préservation des semences et de l’avancée du projet dans les deux pays. Chez SOL, nous n’avons pas pu résister, et nous lui avons posé quelques questions sur son parcours, son ONG et, surtout, sur le projet. Découvrez ce témoignage enrichissant !

SOL : Berta, vous êtes chargée de projet de Biofermes Sénégal au sein de l’association Ndem. pouvez-vous nous rappeler votre parcours, ce qui vous a amené au Sénégal et comment vous avez découvert l’association Ndem ?

Berta Gielge : Je suis Autrichienne-Polonaise et j’ai rencontré la communauté Ndem en 2009. Je l’ai rejointe par la suite en 2011. Je vis là-bas depuis. Mon accroche ne se limite pas à mon engagement pour l’association. En effet c’est d’abord la dimension de vie communautaire sur place qui m’a attirée et dans laquelle je me suis retrouvée pleinement. C’est la raison principale pour laquelle j’ai décidé de m’installer au village, ce n’est que par la suite que je me suis engagée. L’esprit du collectif suivait mes idéaux. Ndem ce n’est pas qu’une association, c’est un village communautaire empreint d’une dimension spirituelle. La vie s’organise en commun : repas, la gestion du village …

 

SOL : Pouvez-vous nous présenter brièvement l’association Ndem et les actions qu’elle a déjà menées ?

Berta Gielge : L’association Ndem s’est formée dans les années 1980 autour d’une nécessité, celle de reconstruire les bases du village. Au début, il s’agissait de répondre aux besoins vitaux et au manque cruel d’infrastructures essentielles. Il a ainsi été question d’améliorer l’accès à l’eau, de permettre aux enfants l’accès à l’éducation, aux populations d’accéder aux services de santé de base ….

 

Le deuxième objectif est la création d’activités génératrices de revenu. L’ONG a ainsi créé une coopérative artisanale pour permettre la valorisation du patrimoine traditionnel et la commercialisation des produits locaux. L’agroécologie, faisant partie intégrante de la vie villageoise, a pris une place de plus en plus grande dans les projets de l’ONG depuis environ 10 ansLe but est d’autonomiser les paysans mais aussi de recréer le lien social entre les villageois. L’association a donc derrière elle un solide réseau d’acteurs et une expérience de plus d’une trentaine d’années dans le développement par et pour les populations locales.

 

SOL : Selon une étude, au Sénégal, 50 % des produits agricoles sont importés ce qui participe à l’appauvrissement des populations. S’ajoute des politiques agricoles qui se révèlent inadaptées au changement climatique et à la désertification croissante du pays. En quoi l’agroécologie peut-elle apporter des éléments de réponse à ces problèmes ? 

Berta Gielge : C’est évident que l’agroécologie est un modèle plus adapté que le modèle « conventionnel » pour répondre aux problématiques du réchauffement climatique et à la désertification.
Son principe est de s’adapter à son milieu, autrement dit de trouver des solutions selon le contexte climatique, selon les caractéristiques du sol. L’agroécologie, c’est envisager la terre non pas comme un élément à exploiter mais plutôt comme une entité à respecter. Dans ce modèle le lieu où l’on cultive, c’est très souvent le lieu où l’on vit, donc on en prend soin.

Finalement l’agriculture à échelle familiale est plus réfléchie : on est proche de tout ce que l’on produit, de tout ce que l’on consomme et de tout ce que l’on rejette. On joue avec les morceaux du puzzle et on ne crée pas d’externalité négative. Les déchets que l’on produit sont réutilisés et compostés. Ce mode de vie sous-entend l’adoption d’un cycle vertueux pour soi et pour son environnement.

 

SOL : Depuis plus d’une dizaine d’année le Sénégal vit un exode rural massif vers les grandes villes et notamment vers Dakar, selon vous quels sont les facteurs qui poussent les populations, et plus particulièrement les jeunes, à fuir les campagnes ?

Berta Gielge : L’exode rural est un grand problème au Sénégal et c’est une de nos grandes priorités. Beaucoup de villages en souffrent. Ce sont principalement les hommes et les jeunes qui migrent vers les grandes villes, pour y chercher la réussite matérielle. Les villages se retrouvent donc peuplés de femmes et de personnes âgées.

 

L’agriculture subit une crise d’ampleur, qui s’est accentuée tout au long du XXème siècle en raison de multiples facteurs comme l’appauvrissement des sols par la monoculture, la sécheresse et la désertification, ainsi que l’ouverture sur le marché international. Un autre facteur important vient du fait que le développement tel qu’on a l’habitude de le valoriser se passe dans les villes (par exemple: la réussite c’est la ville, l’avenir c’est la ville, La technologie, les médias, l’action c’est aussi les villes …) Les ruraux et surtout les jeunes ont conscience d’être en marge de la société moderne, voire d’en être exclus. Ils ont ainsi la perception que la terre et l’agriculture n’offrent pas de richesses et mènent irrémédiablement vers la pauvreté. Cependant, ce sont la télé et les radios auxquelles ces jeunes ont accès qui communiquent sur de fausses possibilités permises par la mobilité, leur donnant envie d’être ailleurs, quitte à subir la désillusion.

 

SOL : Le projet Biofermes au Sénégal débute bientôt dans la région de Mbaké Cadior. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui va être mis en place ?

Berta Gielge : Le projet s’appuie sur un réseau d’experts agronomes sénégalais qui vont former 13 apprentis. Ces apprentis vont mettre à leur tour en place des activités, des formations pour aider les paysans de la région en apportant leurs connaissances. Mais la démarche pour ces apprentis-formateurs est aussi de se nourrir de l’expérience de ces paysans. Ces derniers détiennent un savoir-faire, un héritage, indispensable, qui amène à expérimenter et à se combiner avec le volet théorique agricole des experts. Chaque milieu est différent et nécessite un modèle agroécologique particulier, adapté à ses caractéristiques. Les populations locales vont donc donner et recevoir, se nourrir du projet et le nourrir.

 

La ferme de formation est la première étape du projet. Elle donnera naissance à des modèles agroécologiques de fermes adaptés à l’environnement local et résilients au changement climatique. Une fois établis nous mettrons en place une ferme de production pour assurer la rentabilité et la pérennité du projet. L’état d’esprit est de rester innovant, de se nourrir de l’expérience et ensuite de diffuser les modèles pertinents.

 

SOL : Près de 150 paysans seront formés à l’issu du projet, que vont-ils pouvoir apprendre pendant leur formation ?

Berta Gielge : Les grands volets seront :

  • Le maraîchage
  • Les semences
  • L’élevage (des bovins, des ovins, des caprins, la volaille, …)
  • La pisciculture
  • La transformation alimentaire (elle visera au début à nourrir le bétail)
  • L’arboriculture et l’agroforestie

SOL : Le développement de l’agroécologie peut-il recréer le tissu social qui s’est érodé dans cette région ?

Berta Gielge : Nous l’espèrons. Concernant les femmes ça a déjà commencé. Pourquoi ? Et bien parce qu’elles se montrent très réceptives à l’apprentissage de nouvelles compétences et à la formation de réseaux d’entraide qui leur permettent de développer de nouvelles activités. Ce qui a déjà été mis en place fonctionne très bien, les femmes de la région accueillent et assimilent les initiatives avec enthousiasme.

Pour les hommes, c’est un peu plus compliqué. Ils se montrent intéressés dès qu’ils perçoivent des opportunités économiques solides que les projets peuvent permettre. Pour eux, l’enjeu est de les faire revenir dans le village, de les faire quitter leurs activités en ville, ce qui nécessite des arguments matériels plus forts. Notre objectif est donc aussi de leur montrer que l’agroécologie peut engendrer des bénéfices et être rentable.

 

SOL : Un des objectifs de Biofermes Internationales est de conserver et multiplier les semences paysannes afin de préserver la biodiversité et faire face au changement climatique. Existe-t-il à l’heure actuelle des semences prometteuses pour faire face à la désertification ?

 

Berta Gielge : Oui, il en existe. Les cultures traditionnelles se montrent en fait très adaptées au changement climatique. Parmi elles, on peut citer le petit mil, le sorgho, le maïs, le haricot niébé … Une des réponses à la désertification c’est de diversifier les variétés de semences. Il faut diversifier et revenir à la pratique, tester et expérimenter différentes cultures. Il n’existe pas un modèle unique miracle. C’est un mirage.

 

Conserver ses semences apporte en soit une réponse car ces semences s’adaptent d’année en année au climat et à leur environnement. En plus cela rend autonome les paysans qui sont actuellement dépendants au point de vue des semences. On trouve même des cas où certains sont incapables d’acheter leurs graines ce qui les entraîne dans un cercle vicieux de pauvreté. Notre tâche est donc d’encourager les paysans à conserver ou à réintroduire ces pratiques de sauvegarde des semences.

 

SOL : Vous avez également visité la ferme de Sainte-Marthe qui fait, elle aussi, partie du projet Biofermes. Qu’avez-vous appris et que retenez-vous de ces échanges avec les acteurs du projet en France ?

Berta Gielge : J’ai appris beaucoup de choses. J’ai particulièrement aimé les projets autour des semences. À Sainte-Marthe, il y a un jardin très bien organisé et un conservatoire pédagogique sur lequel on va s’appuyer avec Ndem. C’est important car il y a un grand travail de conscientisation à faire. Le conservatoire permet de sensibiliser et de montrer concrètement qu’il existe des moyens innovants et agroécologiques. Ça permet de donner une image concrète et d’entreprendre une démarche pédagogique.

 

Il faut aussi parler de la démarche de recherche que chacun a mené dans les fermes que j’ai visitées. Ils se fondent sur du concret, de l’expérience, et expérimentent constamment de nouvelles possibilités, de nouvelles semences et de nouvelles techniques. Dans ces fermes, on se montre ouvert à l’initiative… et c’est une démarche qui est aussi centrale dans notre projet au Sénégal,une démarche d’expérimentation constante.

 

Alors l’opportunité pour nous c’est que le projet va être mis en place dans une zone difficile, où, à première vue, les conditions ne sont pas favorables à l’agriculture. Mais justement si cela fonctionne cela va encourager les autres paysans parce qu’ils vont se dire « si ça marche là-bas, ça marchera forcément ici ». Autrement dit le projet a le potentiel d’avoir un impact important, il peut entraîner les gens découragés à adopter des techniques qui leur permettront de s’adapter à leur terre.

SOL : Selon vous quelles opportunités représentent le projet Biofermes pour les paysans sénégalais et plus généralement pour les paysans bénéficiaires du projet en France, en Inde et au Sénégal ?

Berta Gielge : Ils vont pouvoir profiter des échanges avec les autres pays membres du réseau. Dans l’agroécologie en général, on peut apprendre de n’importe quelles autres initiatives que la sienne, en l’adaptant à son contexte. Concernant les différents partenaires de Biofermes, on peut dire que les dynamiques qui les touchent sont les mêmes mais elles agissent différemment selon le pays. On doit donc toujours s’adapter à son milieu, je ne crois pas aux recettes miracles, mais ce qui est important c’est l’état d’esprit d’ouverture. Dans cette optique, même en allant dans un milieu totalement différent du sien comme la France ou l’Inde on peut découvrir des idées auxquelles on n’aurait jamais pensé et ces idées peuvent parfois être réutilisées chez soi.

 

Ce qui est intéressant aussi avec ce projet, c’est qu’il connecte des acteurs qui sont peu visibles. Ils sont souvent sans moyens, peu montrés dans les médias, ce sont en fait des exclus de la mondialisation. Créer un tel réseau c’est important pour les rendre visibles et leur donner une reconnaissance. On est vraiment très heureux de faire partie de ce réseau !

 

Interview réalisée à Paris, au siège de SOL, par Thomas Pavie, Assistant chargé de projet, en février 2018

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